Monsieur Granjean, pouvez-vous m’accorder une minute de votre temps ô combien précieux. C’est Monsieur Fyon là. Ouh, ouh. Oui, c’est concernant les licenciements surprise du mois de septembre. J’ai la liste. Alors, sont nominés… Madame Bénissa. Alors, Madame Bénissa, son poste est perpétuellement occupé Monsieur Granjean. Et bien écoutez, coups de fil personnels, ou quoi, ou qu’est-ce, enfin il est impossible de la joindre, Monsieur Granjean. Vous ne voyez pas de qui je parle Monsieur Granjean ? Madame Bénissa, d’origine portugaise. Son mari avait chuté d’un échafaudage, on s’était tous cotisés au bureau pour lui offrir un sac – un sac de ciment – vous ne vous souvenez pas ? Et bien, j’estime, Monsieur Granjean, que les coups de fil au Portugal ne sont pas utiles. Nous n’avons pas une succursale à Madrid que je sache. Bon, Madame Bénissa, virée. Comme ça elle s’habillera en noir pour quelque chose celle-là. Alors, qu’est-ce que nous avons ? Madame Cohen. Bon, Madame Cohen, ce n’est pas le fait qu’elle soit d’obédience judaïque qui me dérange – encore que – mais c’est plutôt le fait qu’elle soit handicapée, Monsieur Granjean. On a réellement besoin d’handicapés au bureau Monsieur Granjean ? Je vous pose la question comme ça, ipso-facto. D’autant qu’un jour, Madame Cohen était dans le couloir, elle a chuté de sa chaise de souffrance. Elle était là, elle gigotait comme un petit poisson rouge, c’était d’un ridicule. J’admets que ça nous a tous fait rire, mais bon, on n’est pas à Lourdes non plus. D’autant que Madame Cohen volait des stylos, Monsieur Granjean. Quatre couleurs quand même. Alors, Cohen, virée. Je ne veux plus la voir celle-là, ça fera plus de place dans l’ascenseur. Alors, qu’est ce que nous avons ? Je passe du phoque à l’âne. Oui. Fournier. Le petit Christophe Fournier. Alors lui, il est beau comme un dieu, mais c’est une véritable feignasse, Monsieur Granjean. Un exemple comme ça. Recto-verso. Un soir, j’ai l’amabilité de lui proposer de venir travailler un dossier chez moi à la maison. Vous savez ce qu’il m’a répondu, Monsieur Granjean ? J’en ai encore le rouge aux joues. Il m’a dit : « Toi, la petite fiotte, tu ferais mieux d’aller sucer la bite à Granjean ! » J’étais furax. Je suis monté sur mes ergots. J’ai dit : « Dis donc. Oh, hé ! À ton âge, je portais déjà des slips de couleur, mon petit bonhomme. Je suis ceinture noire de yoga, alors vérifie tes abattis. » Ah non, Monsieur Granjean. J’étais furax. J’en ai encore les fesses qui font bravo. Qu’on me manque de respect, je dirais que j’ai l’habitude depuis le temps. Mais vous, Monsieur Granjean, je ne l’accepte pas, Monsieur Granjean. Un homme de votre accabit, si bien introduit dans tous les milieux. Non. Je ne l’accepte pas. Vous m’imaginez en train de vous prendre en bouche ? Non ? Tant pis. Alors Fournier, tu es viré. Je ne veux plus la voir celle-là. Qu’est ce que nous avons ? Oui, Ponton. Ponton, alors en plus, ça ne veux rien dire son nom. Alors lui, ça fait six mois qu’on ne l’a pas vu. Tranquille, il est en vacances. Ça fait six mois qu’on ne l’a pas vu. Comment Monsieur Granjean ? Il est décédé ? Mais Monsieur Granjean, tant qu’il n’est pas là, il est absent. Oui, mais quand même, qu’est-ce que je mets ? Licenciement pour cause de décès, suivi de mort ? Voilà. Service comptabilité, Mademoiselle Catin. Elle porte bien son nom celle-ci. Elle habite aux toilettes cette petite jeune fille. Écoutez, elle y est toujours fourrée, Monsieur Granjean. Et vas-y que je te tire la chasse d’eau. Et vas-y que je te tire la chasse d’eau. On se croirait aux chutes de l’Himalaya. On ne vient pas au bureau pour effectuer ses besoins naturaux. Virée celle-là, je ne veux plus la voir. J’ai gardé le meilleur pour la fin, Monsieur Granjean : Blatini. Blatini, c’est la cerise sur le bateau. Depuis que je lui ai annoncé son licenciement surprise, il n’est pas à l’aise dans ses pantoufles, cet homme là. Ce matin, je le croise dans le couloir, et je lui dit : « Bonjour Jean-Paul. Ça s’organise bien le chômage ? » Il l’a mal pris, dites donc. Il s’est approché de moi, il m’a craché des noix de cajou au visage. Il a foutu le camp direction son bureau. Alors je me suis dit que ce n’était pas normal. Je me suis approché de son bureau et j’ai entendu, par hasard que j’écoutais, qu’il émettait des bruits de sanglier. Comme si on écrasait des petits oiseaux. J’ai dit : « Vous désirez un Aspegic, Monsieur Blatini ? » Pas de réponse. Ni une ni une, je prends mon passe passe-partout, j’ouvre le bureau… Oh, Monsieur Granjean. J’ai eu une vision comme jamais je n’en avais visionnée, Monsieur Granjean. Nous avions, mon Blatini sur le bureau, entièrement nu, les parties honteuses, tout droit comme un Y, avec du papier, de la paperasse dans le bec, comme ça. J’ai dit, comme d’habitude, « Dites donc. Oh, hé ! Vous allez arrêter de faire le foufou maintenant, hein. Vous allez me faire le plaisir de mettre un slip – on choisira la couleur ensemble si vous le désirez – enfin, ça va maintenant les conneries. Sinon, Monsieur Granjean et moi-même, on va se fâcher tout rouge. » Et là, Monsieur Granjean, en l’espace de quasiment une année-lumière – pas plus – l’individu s’est mis en boule. Comme une petite bouloche. Vous savez les petites bouloches de papier que l’on se jetait étant jeune. Vous ne voyez pas ? Non ? Tant pis. Il s’est mis à tourner comme une toupie géante. Et là, il s’est collé au plafond. J’ai dit : « Dis donc. Oh, hé ! Tu vas pas nous chier dessus, non plus ? Qu’est ce que vous faites, Jean-Paul ? Vous allez faire vos conneries à l’ANPE, mais pas ici, hein. » Il était à l’aise sur son plafond. Il s’est mis à crapahuter comme une petite mouche. J’étais tétanifié. Et là, Monsieur Granjean, il nous a sorti une langue « comme ça ». On se serait cru dans l’Exormiste. Il s’est approché de l’ampoule électrique et il s’est mis à nous la lécher, comme une glace. J’ai dit : « Dis donc. Oh, hé ! » Et là, Monsieur Granjean, comme quoi la nature humaine est extraordinaire, en position de moucheron, sa tête – la partie têtale – s’est mise à tourner à plus de cent quatre-vingt degrés / minute, comme dans le film. Il m’a regardé et m’a dit : « Ta mère est une pute. » Oh, je lui ai tout balancé : de l’ail, des fines herbes, de l’eau bénite. Je suis allé chercher un tournevis cruciforme. Oh. J’ai fermé à clef, hein. Et bien, il doit y être encore, Monsieur Granjean. C’est spécial, hein, Monsieur Granjean ? Voilà, Monsieur Granjean, mission accomplie. Comment, Monsieur Granjean ? Vous désirez rajouter un nom ? Bien sûr, Monsieur Granjean. Voilà. J’adore votre costume pied-de-poule, vous êtes superbe avec. Ah oui, d’accord… Monsieur Granjean, pour votre gouverne, Fyon, ça prend un Y. |
Intervention parasitaire dans le magazine Ink #2 © Patoche
et Pierrot